Qu’est-ce qu’un savon ?

Et si nous parlions savons et savonnée ?

Je vous dois un aveu. À l’origine, cet article devait se concentrer sur le savon noir et lui seul. C’est un produit que j’utilise chez moi parce qu’il s’avère très bien convenir pour prendre soin des sols dallés et de mes planchers (du vrai plancher en chêne, j’habite une maison ancienne).

Une bonne savonnée ?

Mais voilà comme j’aime bien tenter d’épuiser mon sujet, j’ai voulu comprendre les différences entre les savons et… Disons que le domaine de la recherche s’est considérablement élargi et pour cause.

Lorsqu’on parle d’entretien ménager, on évoque souvent « une bonne savonnée ». Et à raison, le savon étant un composant important des produits détergeant utilisés pour laver nos intérieurs.

Encore faut-il savoir de quel savon on parle et comment les utiliser ?

En effet, il existe plusieurs sortes de savon destiné à des usages très divers et à des prix allant du bon marché au produit de luxe.

En tant qu’entreprise de titre-service, nous sommes naturellement intéressés par les produits nettoyants et nous avons voulu en savoir plus.

Nous allons nous concentrer sur trois types : d’Alep, de Marseille et noir.

Le texte qui suit se veut une synthèse sur ce sujet. Des applications pratiques seront détaillées dans d’autres articles. Mais votre aide-ménagère(e) peut évidemment vous conseiller utilement.

Prêt(e) ? En route pour un étonnant voyage à travers l’Histoire, la chimie et la géographie méditerranéenne !

Qu’est-ce qu’un savon ?

Le savon est un produit composé de molécules amphiphiles obtenues par réaction chimique entre un corps gras et une base forte. Il s’agit spécifiquement de la soude (hydroxyde de sodium) pour les savons solides ou de la potasse (hydroxyde de potassium) pour le savon noir.

Cette réaction est opérée soit à chaud soit à froid avec certains ingrédients. On parlera de saponification.

Le terme amphiphile signifie qu’il n’y a pas dissolution des sels d’acide gras, mais au contraire la formation de micelles dans l’eau ou l’huile. Ces micelles ont des propriétés lipophiles qui expliquent qu’elles vont enrober les matières grasses.

Les micelles emprisonnent les tâches grasses ou les gouttes d’huile.

Progressivement par le simple fait d’être agitées, brisées et reconstituées par l’action de frottements des fibres du tissu, elles vont permettre le transfert des résidus graisseux dans l’eau de rinçage.

Autrement dit, alors que l’eau et l’huile ne se mélangent pas normalement, l’ajout de savon permet aux huiles d’être emprisonnées dans l’eau et d’être rincées.

Un dégraissant maison.
  1. Mélanger 1 mesure de cendre de bois avec 3 mesures d’eau douce.
  2. Laissez macérer entre 5 et 10 jours avant de filtrer avec un tissu fin.
  3. Versez le liquide jaunâtre ainsi obtenu dans une bouteille.

Vous avez maintenant un extrait de cendre a utilisé comme dégraissant (liquide vaisselle, p.ex.) Il peut servir de base à une saponification à froid si vous y ajouter de l’huile.

D’où vient le savon ?

Il est tentant de répondre d’Alep en Syrie, mais c’est un gros raccourci.

C’est au 3e millénaire avant notre ère que l’on trouve, sur le site archéologique de Tello (sud de l’Irak actuel), les premières recettes décrivant la fabrication d’un produit associant de l’huile et de la potasse. Il est destiné à un rituel de purification.

Ruines, partiellement restaurées, de Babylone

Le procédé, avec des variantes, demeure et semble être exporté par les commerçants phéniciens.

Pline, naturaliste romain, prétend, au 1er siècle de notre ère, que le savon est une invention gauloise (le terme même est un des rares emprunts du français au gaulois). Encore s’agit-il, selon sa description, d’un shampoing fabriqué en mélangeant de la graisse et de la cendre.

À partir de la fin du VIIe siècle, des savonneries sont attestées dans la région d’Alep pour produire ce qui est sans doute le savon dur connu le plus ancien du monde méditerranéen.

C’est au XVIIe que Colbert, ministre de Louis XIV, proclame une franchise pour le port phocéen au détriment de la ville de Toulon également active dans le domaine.

On trouve des techniques de fabrication de savon aussi bien en Afrique subsaharienne qu’en Inde.

La saponification à froid est un procédé de production qui autorise relativement aisément de préparer un savon à usage cosmétique chez soi.

Elle nous intéresse moins comme entreprise titre-service, car ce type de savon ne convient pas à l’entretien ménager.

Qu’est-ce qui permet de déterminer la qualité d’un savon ?

Le principe de la saponification consiste entre un mélange d’acide gras (l’huile) et de soude ou de potasse. Par conséquent, la qualité de l’huile est primordiale pour établir la qualité du savon.

Il ne s’agit pas d’une remarque en l’air. Les huiles ne se valent pas, car leur composition chimique, et donc leur propriété amphiphile diffèrent.

Pour prendre deux exemples, un savon riche en huile de copra moussera de façon plus abondante ; l’huile de palme permet un durcissement plus rapide. Mais ces huiles ont des chaînes carbonées moins longues que celles des huiles d’olive ou de lin. La réaction à l’air diffère, mais la capacité d’emprisonner les graisses aussi (et, si vous avez suivi, est inversement proportionnelle).

Soyez vigilant aux étiquettes et veillez à bien lire la composition de votre savon. Les fabricants peuvent très bien recourir au greenwashing (voir notre article ici). La législation permet de mettre en évidence un ingrédient même si ce dernier est ultra minoritaire.

Comment reconnaître un « vrai » savon d’Alep ?

Savon d’Alep

Le savon d’Alep a la particularité de mélanger de l’huile d’olive, de l’huile de baie de laurier et de la soude d’origine végétale.

Il est donc important de savoir que le savon d’Alep ne contient ni graisse animale (sodium tallowate, sodium inolate) ni huile essentielle (de laurier p. ex.) ou autre huile végétale.

Il se présente sous une forme cubique de couleur marron à l’extérieur et verte à l’intérieur.

Les fabricants s’authentifient au moyen d’un sceau. Alep s’écrit : حلب.

D’autre part, il flotte généralement dans l’eau (une trop grande teneur en huile de baie annihile cette propriété).

Ce type de savon peut se garder durant de longues années sans problème.

Un savon d’Alep « Pure olive » est composé à 95 % d’huile d’olive (il s’agit ici de l’huile obtenue lors d’une seconde pression et non de l’huile à usage alimentaire). Il sied très bien aux peaux normales à sèches.

La proportion entre huile d’olives et huile de baies modifie les propriétés de ce type de savon et son prix.

En résumé, plus il y a d’huile de baies (autour de 80 %) et plus le savon sera abrasif et conviendra à l’entretien ménager et notamment la préparation d’une lessive « maison ». Mais il sera aussi plus cher. Il s’agit cependant d’une solution intéressante pour utiliser les derniers grammes d’anciens pains de savon.

Mais il n’y a pas d’appellation géographique protégée et la ville d’Alep vient de subir un siège particulièrement cruel dont elle mettra sans doute encore quelques années à se relever.

Les savonneries redémarreront certainement, mais il est peu probable que vous trouviez du savon fabriqué à Alep suivant la méthode classique dans le commerce en ce moment.

Méthode traditionnelle

L’origine du savon d’Alep remonte au moins au VIIe siècle. Son procédé de fabrication traditionnel en ferait l’ancêtre des autres savons durs existant dans le bassin méditerranéen.

1re étape : La première saponification, On met l’huile d’olive dans une cuve enterrée, avec de l’eau et de la soude d’origine végétale (salicorne, salsola kali). Le contenu est porté à ébullition pendant trois jours dans des chaudrons de cuivre, durant lesquels la réaction chimique transforme l’huile en savon liquide.

2e étape : On ajoute l’huile de baie de laurier à la fin de la saponification.

3e étape : On étale la pâte sur le sol de l’atelier, recouverte de papier paraffiné. Pendant que le savon refroidit, des ouvriers, avec une planche attachée à chacune de leurs chaussures, marchent sur le savon pour uniformiser son épaisseur.

4e étape : Ensuite, le savon, toujours sur le sol, est coupé en blocs avec un instrument qui ressemble à un râteau et les pains sont estampés.

5e étape : Ils sont empilés et, après avoir suffisamment séché (entre 9 et 10 mois), sont stockés dans une cave où ils vieillissent entre 6 mois et 3 ans.

Durant cette période, plusieurs modifications se produisent : la soude qui n’a pas réagi avec l’huile se décompose et le taux d’humidité diminue.

Comment reconnaître un « vrai » savon de Marseille ?

Vue du port de Marseille

Stricto sensu, il n’y en a plus. La composition du savon de Marseille, comme défini par Colbert, précise qu’il ne peut entrer dans son élaboration que de l’huile d’olive, de l’eau et de la soude. Mais cet édit n’a plus cours et l’appellation géographique n’est pas protégée.

Dans les faits, et après une rapide enquête, aucun des savons de Marseille vendu dans le commerce de grande distribution n’est constitué que d’huile d’olive et de potasse.

Quatre savonneries marseillaises se sont unies pour réclamer une reconnaissance à tout le moins de l’appellation, mais leurs méthodes de fabrications s’écartent tout de même sensiblement de l’édit cité supra par l’addition d’autres huiles.

Au mieux, l’huile d’olive sera majoritaire dans la composition par rapport à d’autres huiles (de palme ou de copra p. ex.). Je renseigne, au bas de cet article, l’excellent blogue du curionaute qui épuise cet épineux sujet.

En revanche, une savonnerie du Val-de-Marne propose un savon à la composition conforme, mais, du coup, il n’est pas fabriqué près du bar du Mistral !

Sachez encore que le savon de Marseille est un savon dur, cubique (et estampillé), d’une couleur variant du vert pâle au brun et ne doit contenir ni conservateur, ni parfum de synthèse.

On peut trouver des paillettes de savon de Marseille en droguerie. Cette présentation convient particulièrement pour fabriquer sa propre lessive.

Vérifiez toujours que la teneur en acide gras est bien de 72%.

Attention, son efficacité diminue avec l’augmentation de dureté de l’eau.

Procédé marseillais

L’authentique savon de Marseille se fait en chaudron, selon un procédé de saponification spécifique, appelé « procédé marseillais », comprenant 5 étapes :

1re étape : l’empattages, ou réaction chimique de saponification.
Le maître savonnier chauffe un mélange de lessive de soude et de corps gras d’origine végétale et le porte à ébullition dans le chaudron.

2e étape : le relargage.
Le savon étant insoluble dans l’eau salée, cette opération consiste à ajouter une lessive salée très dense afin d’entraîner la soude en excès au fond du chaudron. La soude « se relargue » c’est-à-dire qu’elle descend vers le bas de la cuve, le savon restant au-dessus.

3e étape : la cuisson.
Celle-ci permet la complète transformation des corps gras en savon par adjonction de lessive de soude concentrée. Cette opération explique la longévité du savon de Marseille.

4e étape : le lavage.
Les ouvriers affinent la pâte de savon par des lavages, entraînant le glycérol, les impuretés et les acides gras non saponifiés.

5e étape : la liquidation.
Un dernier lavage à l’eau claire amène le savon à l’état final. Surnage alors le savon lisse et pur qui fait la réputation du procédé marseillais.

Ces différentes opérations prennent entre une semaine et dix jours.

Petit détail lexical, le savon de Marseille se fait avec du sodium olivate et non de l’oleo europaea ! Si vous voyez cette indication dans la composition vous pouvez être sûr qu’il y a de l’huile d’olive dans votre savon. Seulement, elle est ajoutée après la saponification pour être mentionnée sur le packaging (vous ai-je parlé du greenwashing ?)

Et le savon noir là-dedans ?

L’expression savon noir désigne deux types de préparation. Attention, ici non plus il n’y a pas d’appellation authentifiée et les fabricants baptisent savon noir des produits qui n’en contiennent que très peu.

Savon noir destiné au hammam sur un marché marocain

Un premier type, fort populaire dans le Maghreb, est appelé savon beldi. On le fabrique à base de pâte d’olive noire et de potasse. Il est utilisé lors des rituels du hammam et, de façon plus générale, comme produit gommant. C’est donc un produit destiné à l’hygiène corporelle.

Le savon noir ou savon mou (à cause de sa texture) de couleur plus ou moins sombre (brunâtre, verdâtre, grisâtre ou noirâtre) est obtenu par un mélange de potasse et d’huiles de chènevis, navette, œillette, colza et, plus rarement, d’huile de lin. On parlera, parfois, de savon vert.

Enfin, le savon noir à l’huile de lin, la saponification se réalise avec de l’huile de lin (ou d’olive) et de la potasse. Sa couleur est naturellement ambrée sombre. Il est visqueux. On n’y ajoute pas de colorant.  Il affiche une teneur équivalente en acides gras de l’ordre de 38%. Je le recommande pour le nettoyage des carrelages et comme détachant pour le linge.

Il se conserve dans un récipient hermétique et au frais. Les savons de Marseille et d’Alep se gardent facilement à l’air libre.

Un produit économique à l’usage

Si nous avons pris l’habitude de proposer à nos lecteurs des solutions économiques alternatives aux nettoyants ménagers du commerce, il faut reconnaître que le prix de vente du « savon noir » a fortement augmenté ces dernières années. Je vous conseille d’ailleurs d’essayer de l’acheter en vrac dans les drogueries ou magasins « bio » généralistes.

Cependant, et même ainsi, attendez-vous à payer le double de la valeur d’un produit ménager multiusage de marque.

Malgré tout, le savon noir occupe une place particulière parmi les solutions de nettoyages du fait à la fois de sa grande polyvalence et de sa grande douceur.

Le savon noir est utile aussi bien pour nettoyer les sols que comme insecticide pour contrer les invasions de pucerons p. ex.

Aussi, je reviendrai dans un prochain article sur les différents usages du savon noir tant ils sont nombreux.

Conclusion

Comme vous pouvez le constater, le monde du savon est complexe et, derrière des références à des méthodes ancestrales se trouve souvent des pratiques commerciales douteuses. En l’absence d’une réglementation européenne contraignante, les fabricants n’hésitent pas à recourir au greenwashing pour vendre leur produit.

Je ne peux que vous inciter à lire attentivement la composition réelle des prétendus savons noirs, d’Alep ou de Marseille vendus dans le commerce.

Certes, les savons préparés avec des huiles végétales sont plus chers. Mais la différence du coût de fabrication, par rapport à leurs copies élaborées avec des graisses animales et de l’huile de palme, n’est pas complètement répercutée dans le prix final. L’objectif est de mettre sur le marché des produits au prix d’achat légèrement inférieur à la recette imitée en augmentant la marge bénéficiaire sur le dos du consommateur.

Retenez aussi que la mousse est obtenue par l’utilisation d’huiles qui sont moins intéressantes comme dégraissant et n’est présente que pour vous donner l’illusion de l’efficacité.

Les différents produits, présentés dans cet article, ont une odeur qui peut ne pas être plaisante à nos odorats habitués aux parfums de synthèse. Sachez que cette odeur ne persiste pas, il n’y a donc aucune raison d’ajouter des huiles essentielles ou autres.

Enfin, derrière certaines appellations scientifiques, se cachent des graisses animales, de l’huile de palme ou des composés n’ayant aucune propriété nettoyante (l’oleo europaea).

JM


Pour aller plus loin.

www.lecurionaute.fr

Régine Quéva, Fabriquer sa lessive, son dentifrice, son shampoing, ses produits d’entretien…, Chine, Larousse, 2019.

Nathalie Semenuik, La cendre. Maison, jardin, beauté, Paris, Rustica édition, 2019.

La saponification à froid, Comines, Aroma-zone, 2015.